L'accès à l'éducation supérieure pour les jeunes des "pueblos jovenes" au Pérou: étude de cas dans les disctricts de Mollebaya et Socabaya, banlieue sud d'Arequipa.
Voici le titre de mon travail de mémoire. Les données ont été recueillies par Rachel Kahn, mon amie et collègue dans le projet social qui nous anime, au Pérou bien entendu (vous l'aurez deviné!). J'ai rédigé ce mémoire-action, destiné à servi de base théorique à notre projet K'iranakuy, pendant l'été 2016, et je l'ai soutenu le 14 septembre dernier. Je partage ici l'introduction et la conclusion de mon écrit. Si vous souhaitez en savoir plus, n'hésitez pas à me contacter via les commentaires, je vous enverrai volontiers le reste de ma production. Pour avoir plus de détails sur le projet et ses actions, vous pouvez suivre les avancées sur notre site internet, ou dans la rubrique "Articles" de ce blog - d'octobre 2016 à décembre 2016. Toute question, réflexion, doute ou idée sont les bienvenues... Alors vamos vamos !
Introduction
En
septembre 2013, je partais en Amérique du Sud, seule avec mon sac à dos et ma
soif de découvertes et de rencontres. C’est à Arequipa, au sud du Pérou, que
j’ai eu l’occasion de poser
mes valises pour six mois. Volontaire dans une association locale s’occupant
des enfants de quartiers défavorisés en périphérie de la ville – Intiwawa, Niños del sol –, je me suis tout de suite beaucoup investie
dans la vie de l’association jusqu’à prendre le poste de coordinatrice de
projets et coordinatrice des bénévoles étrangers. L’association Intiwawa[1]
lutte contre la pauvreté dans les quartiers sensibles que sont Mollebaya et
Socabaya, en proposant aux enfants de 3 à 18 ans un accueil les après-midis
après l’école, avec aide aux devoirs, repas, et diverses activités (culture,
santé). A travers mon travail dans l’association, j’ai également eu l’occasion
de travailler dans des écoles (maternelle et primaire) en tant qu’assistante
d’éducation et professeure d’anglais. Me confrontant sans barrière à la culture
péruvienne, cette expérience a été pour moi très riche et m’a permis de déceler
les failles d’un système éducatif en mutation. J’ai notamment pu constater
qu’une partie du public visé par cette association était petit à petit
marginalisée par le système scolaire : les adolescents.
En effet, à partir de l’âge de 13
ans environ, les jeunes sont amenés à travailler avec leurs parents pour
apporter leur contribution à l’économie familiale et aider à la survie de la
famille[2].
Les districts de Mollebaya et Socabaya, comme nombre de pueblos jóvenes[3], se sont
considérablement développés avec l’exode rural de la fin du siècle dernier[4].
L’activité majeure du village est la fabrication artisanale de briques. Très
précaire, le revenu des personnes se calcule au nombre de briques fabriquées.
Ainsi, nous comprenons aisément que, dès qu’il dispose de la force physique
nécessaire à cette dure tâche, l’enfant troque peu à peu son statut d’écolier
contre le col bleu de l’ouvrier.
Cependant, c’est lors d’une visite
organisée pour les enfants de l’association à l’hôpital universitaire situé sur
le campus de l’Universidad Católica Santa María,
dans le centre-ville d’Arequipa, que j’ai pris conscience de l’urgence de la
situation. Impressionnés par l’effervescence du lieu et des étudiants dans les
couloirs, les enfants – dont la plupart n’étaient jamais allés dans le centre
de la ville, pourtant situé à seulement une dizaine de kilomètres de leur
village – étaient émerveillés par ce monde nouveau. Alors que nous attendions à
la clinique dentaire, Juan Luis, 7 ans, regardait avec admiration le ballet des
étudiants-docteurs en blouse blanche. Soudain, tout bas, il m’a dit : « Miss, yo
también quiero ser dentista de mayor.» [5]
Émue
par ce témoignage, je décidais alors d’en parler à une amie bénévole. Rachel
Kahn est étudiante à l’Université de Washington en licence intitulée
« Human services and social justice », avec une spécialisation sur
l’Amérique du Sud. Toutes deux militantes et volontaires, nous décidions alors
d’unir nos forces pour permettre à Juan Luis et les autres de pouvoir réaliser
leurs rêves : terminer dans de bonnes conditions l’école secondaire et
accéder à une éducation supérieure. C’est ainsi que depuis septembre 2014, nous
réfléchissons à la création d’un projet permettant de pallier la
marginalisation de ces jeunes et de lutter pour un système plus égalitaire en
permettant aux enfants de Mollebaya et de Socabaya de pouvoir accéder aux
études supérieures.
Je souhaitais donc profiter de ce
mémoire de recherche pour me plonger plus profondément dans les racines du
problème, afin de pouvoir par la suite proposer une solution pérenne à mettre
en place au service de la population, sous la forme d’une structure associative.
Ainsi, c’est un problème de société que vient questionner ce mémoire, à savoir
le rôle de l’éducation comme garante de l’égalité des chances.
Le contexte comprend trois entités
qui interagissent et qu’il s’agit de prendre en compte : les jeunes bien
sûr, mais aussi leurs familles (parents, frères et sœurs) et leur milieu de vie
(le village, le collège, les professeurs)[6].
Mes questionnements peuvent se
résumer dans la problématique suivante :
Origines sociales, ethniques et
territoriales: quelles répercussions dans l’accès à l’éducation supérieure pour
les jeunes des pueblos jóvenes
d’Arequipa au Pérou ?
Dans une première partie, le cadre
théorique me permettra de définir les termes de mon sujet, de faire un point
sur la documentation disponible sur l’état de l’éducation supérieure au Pérou
puis d’aborder en détails le contexte de mon étude, en présentant les individus
étudiés. Cette partie nous mènera à l’annonce de mes hypothèses de départ. Dans
un second temps, nous nous pencherons sur les données qui serviront à
interroger ces hypothèses, présentant la méthodologie de recueil et de
traitement en vue de leur analyse. Cela permettra de soulever les véritables
problèmes auxquels la population fait face aujourd’hui. Pour terminer, nous
nous servirons de ces conclusions pour développer les différents axes de notre
nouveau projet social K‘iranakuy, pour
un meilleur accès des jeunes de Mollebaya et Socabaya à l’éducation supérieure.
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[2] CAVAGNOUD Robin, L’enfance entre école et travail au Pérou : enquête sur des adolescents à Lima, Paris : Karthala, 2012.
[3] Nous reviendrons en détails sur la définition du terme « pueblo joven ». Entendons-le pour l’instant comme un bidonville.
[4] CHANFREAU Marie-Françoise, La vivienda en los pueblos jóvenes de Arequipa y Trujillo, Bulletin de l’Institut Français des Etudes Andines, 1988, XVII, n°1, pp. 37-64 [consulté le 13.08.2016].
[5] Traduction : « Mademoiselle, moi aussi je veux être dentiste quand je serai grand. »
[6] GUERRERO Gabriela, «Yo sé que va a ir más allá, va a continuar estudiando»: expectativas educativas de estudiantes, padres y docentes en zonas urbanas y rurales del Perú, Documento de investigación 74, Lima: GRADE, 2014 [consulté le 01.09.2016]. Disponible sur le web: <http://www.grade.org.pe/wp-content/uploads/ddt74.pdf>
(... et quelques 40 pages plus tard ...)
Conclusion
Deux ans
après ma première expérience péruvienne, de l’eau a coulé sous les ponts.
Cependant, jamais l’idée d’y retourner et d’aider ces populations ne m’a
quittée. Constatant un malaise dans le système éducatif local, je n’étais
cependant pas en mesure de l’identifier ni de l’évaluer. Grâce à ce travail de
mémoire, j’ai pu me pencher sur la situation actuelle, et élaborer une liste de
vrais problèmes afin de pouvoir y remédier. Après maintes recherches sur le
système éducatif péruvien et en particulier sur l’éducation supérieure dans le
continent sud-américain, j’ai pu dresser le cadre théorique de ma recherche.
Cela m’a amené à formuler une série d’hypothèses concernant les raisons d’un
difficile accès aux études supérieures dans les pueblos jóvenes de
Mollebaya et Socabaya. Ces facteurs d’inégalité des chances s’organisent en
trois catégories : le facteur économique, le facteur territorial et
l’origine sociale de nos jeunes. Afin de confronter nos postulats avec la
situation sur le terrain, nous avons choisi d’interroger les acteurs du système
éducatif local dans une série d’interviews: les jeunes, leurs parents et
leurs professeurs. Cela nous a permis de faire le portrait de ces individus et
de leur environnement, élément indispensable à la création d’un projet
associatif que nous souhaitons porter tous ensemble, main dans la main. La
motivation de tous les acteurs est palpable, remettant en question notre
postulat de départ. Nous avons pu déceler que le problème prend ses racines
ailleurs : il s’agit en fait d’un manque de structure mise à disposition
de nos jeunes pourvoyant une solide orientation à l’heure de choisir son
avenir, et les ressources nécessaires à sa réalisation – concernant
l’information notamment sur les métiers, les cursus supérieurs ou encore les
solutions de financement. Tout projet ne peut aboutir sans soutien. Après
l’analyse de nos données, nous avons pu voir que toutes les personnes
interrogées s’accordent à dire que sans soutien de la part de ses proches,
l’adolescent n’est pas en mesure de mener à bien son projet. Soutien
émotionnel, soutien académique, soutien financier : nous souhaitons
épauler les jeunes et leurs familles pour leur donner les moyens de porter leur
projet à bout de bras, afin qu’ils puissent devenir une génération d’adultes
professionnels, indépendants et responsables, non plus victimes d’un système
inégalitaire mais acteurs de leur vie.
Actuellement prisonniers d’un
système qui les pousse à quitter les bancs de l’école pour manier la pelle et
le seau dès l’adolescence, les enfants voient souvent leurs rêves d’avenir
s’évaporer dans les fumées des fours à briques de nos pueblos jóvenes.
Pour l’instant, ces fours sont les moteurs de l’économie de Mollebaya et
Socabaya. Mais pour combien de temps encore ? Selon un rapport d’experts
sorti en 2012[1],
les fabriques artisanales de nos localités ne disposent plus des ressources
d’argile nécessaires, les gisements s’étant asséchés au fil des années
d’exploitation irraisonnée. La matière première doit donc dorénavant être
achetée plus loin et acheminée vers les lieux de fabrication. Cela a un fort
impact sur la rentabilité des entreprises, rendant la production déficitaire.
Ce diagnostic rejoint malheureusement les témoignages des parents interrogés
dans notre étude. Les parents expliquent que les affaires ne marchent plus
comme avant : « Aujourd’hui, nous pouvons dire que la brique est
morte. […] Nous sommes finis »[2]. Tout converge pour signaler le nécessaire
renouveau de l’économie de ces localités. En conclusion, les pueblos jóvenes ont un besoin urgent de têtes pensantes
bien formées pour se sortir de cette impasse. Par la force de l’éducation,
soutenons ensemble Juan Luis et les autres, afin qu’ils deviennent une
génération de jeunes adultes innovateurs, volontaires et bienveillants. Après
tout, l’éducation n’est-elle pas l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser
pour changer le monde ? [3]
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