lundi 15 mai 2017

"Je m'appelle Sami, j'ai 19 ans, je viens d'Afghanistan"

Mardi 2 mai, 9h30, Centre d’Accompagnement et d’Orientation de Labège, à quelques kilomètres de Toulouse.

Deux jeunes étudiantes m’attendaient à la sortie du métro Ramonville, terminus de la ligne jaune. « Bienvenue au RETSER* ! », m’ont-elles dit, « Allez, on va prendre le bus pour se rendre au CAO, là où les migrants sont logés provisoirement. C’est sur le site d’un centre de formations pour adultes, tu verras. » Après une dizaine de minutes de bus, nous avons poussé les portes de l’AFPA. Oui, LES portes. C’est après avoir traversé tout le centre de formation, que tout au bout du tout dernier couloir, la toute dernière porte nous mena… sur le parking. Et tout au fond du parking: des préfabriqués aux rideaux tirés.



« C’est là ! Voyons voir qui est déjà arrivé ». On entra dans le bâtiment embaumé par des relents de cantine pas aérée. Au fond du couloir, la salle. « Ici les habitants viennent pour apprendre le français. C’est bizarre, y’a personne encore ! Normalement ils sont toujours là, prêts, le cahier à la main avant même qu’on n’arrive ! ». Au bout de quelques minutes, alors qu’on installait la salle, un jeune homme tend la tête par la porte, des cernes jusqu’au menton : « Bijour ! ». Le premier élève est là ! « Bonjour Sami ! Ils ne viennent pas les autres ? » « Euh oui mais… ils dorment ! ». Adèle (pas moi, l’autre !) de demander : « Vous avez fait la fête hier soir ? » et Sami de répondre « Oui, on a regardé un Bollywood jusqu’à 4 heures ! ». « Ah, on comprend mieux ! ». Au goutte à goutte est arrivée notre classe, un petit groupe de six hommes d’origine afghane et pakistanaise.

Mais qui sont-ils ? Après le démantèlement de la jungle de Calais en novembre dernier, environ 200 hommes isolés (c’est-à-dire sans famille) ont été accueilli à Toulouse. Rêvant de Buckingham, ces Afghans, Pakistanais, Iraniens et autres Erythréens se sont finalement retrouvés au Capitole. Enfin, façon de parler… Les Centres d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA) étant surchargés, ces hommes ont été placés dans des structures temporaires tels que ces préfabriqués au fond d’un parking de Labège. Bon, au moins ils ont un toit sur la tête, un lit et un repas chaud à midi. Mais les situations de chacun se stabilisent dans le provisoire, passant plusieurs mois à attendre des papiers et des autorisations qui tardent. Logés, certes, mais pas pour autant accueillis, dans cette ville qu’ils contemplent de loin. C’est pour ça que le RETSER (Réseau des Etudiants Toulousains en Soutien aux Exilés et aux Réfugiés) s’est créé il y a quelques mois, avec l’objectif de créer du lien entre ces personnes et nos personnes. Sorties culturelles et sportives, cours de français, musique… la liste des activités est longue. Pour ma part, je suis allée voir ce qu’il se passait dans les cours de français (bah oui, j’y serai peut-être plus utile qu’à un match de foot !). C’est ainsi que j’ai rencontré Adèle et Lena, deux étudiantes qui se chargent des cours du mardi dans ce CAO-là. Je souhaite partager avec vous ces petits moments d’humanité qui me nourrissent tellement.

Revenons-en à nos cahiers. Vers 10 heures, le groupe au complet, nous avons pu commencer le cours en reprenant les activités de la semaine passée. Ah mince, Abdullah s’en va. Ca ne l’intéresse peut-être pas… Mais si, le voilà qui revient. Avec trois petits verres de thé vert bien chauds et bien sucrés ! Sa chaleureuse manière de nous souhaiter la bienvenue. Sans vous faire le détail du cours ici, je voudrais vous parler de ces hommes. Ces hommes qui se battent pour apprendre une langue, pour s’intégrer dans un pays où ils souhaitent maintenant rester, ces hommes dans les yeux desquels passent des éclairs de nostalgie lors des présentations (« Je viens de Pakistan, je suis agriculteur, j’ai 5 sœurs et 2 frères »). Ces hommes, si jeunes. « Quel âge as-tu ? » « J’ai 19 ans. »… On leur en donnerait dix de plus. Des hommes aux visages burinés, aux destins et aux trajectoires brisés en autant de morceaux que leurs longs exils. Ces hommes qui rient, qui baissent les yeux en rougissant quand on leur demande s’ils sont mariés ou célibataires, qui se chamaillent en pachto – une des langues parlées en Afghanistan – quand il s’agit de faire des mimes, qui se prêtent aux jeux et qui tiennent à leurs cahiers comme à la prunelle de leurs yeux. Pour tous ces hommes, ça fait plaisir de se lever le mardi matin. Rencontrer la différence, échanger, mais se tromper parfois aussi. Ce même matin, le sujet de la politique est arrivé sur la table. Afin de les inviter à s’exprimer, je demande aux Afghans quel est le système politique dans leur pays et s’ils sont d’accord avec lui. A l’unanimité, ils me répondent à la négative. Le Pakistanais, quant à lui, restait en dehors de la conversation. Pour le faire participer, je lui demande comment ça se passe dans son pays, et ce qu’il en pense. « C’est un président », me dit-il. « Ok. Et tu es d’accord avec lui ? », je lui demande. « Non », me rétorque-t-il du tac-au-tac. « Et pourquoi ? ». C’est alors que j’ai vu ses yeux se baisser, et en fixant ses chaussures il s’empresse de me répondre : « Oui, j’aime mon président. Je suis d’accord.» Décontenancée, (l’autre) Adèle est venue à ma rescousse : « Tu sais Abdhulla, ici on est libre de dire ce qu’on veut, même sur ton président. Si tu n’es pas d’accord, tu peux le dire. » Quelle cruche je fais! Je débarque à peine et voilà que je mets les pieds dans le plat ! Mais je pense qu’il ne m’en a pas tenu rigueur, un verre de thé m’attendait sur la table le mercredi suivant... !


Au programme du cours pour mon intervention lors des trois mardis qu'il me reste à Toulouse : la nourriture. Flashcards des fruits et légumes, expression du goût, apprentissage des formules de demande/de service au marché et introduction à la recette de cuisine (avec un projet en cours de réalisation pour créer un livre de recettes de leurs pays, en français, que je pourrais j’espère publier sur ce blog !), sont les objectifs travaillés autour de multiples jeux et mises en situation. Grâce à ma formation, je viens donner un petit coup de mains aux super bénévoles néophytes dans l’enseignement du FLE. Une chouette expérience qui donne envie de se poser quelque part pour s’investir au long terme dans ce genre d’initiatives !

* Le site du Retser pour les intéressés : https://retser31.com

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