Dans le cadre de mon mémoire, je travaille sur l'accès à l'éducation supérieure des jeunes péruviens issus des communautés indigènes (pour plus de détails, voir ma page consacrée au mémoire).
Afin de poser les bases de cette réflexion, j'ai profité du travail à faire dans notre cours de Connaissance des Systèmes Éducatifs pour me pencher sur la question péruvienne. En voici le résultat.
Le système éducatif péruvien
1. Le Pérou, situation géographique
Situé au Nord-Ouest de l'Amérique Latine, le Pérou partage des frontières avec l'Équateur, la Colombie, le Brésil, le Chili et la Bolivie.
Sa géographie peut s'aborder en 3 grandes zones: la Costa, qui suit le littoral pacifique, la Sierra, au niveau de la Cordillère des Andes, et la Selva, jungle amazonienne.
Comme nous pouvons le constater sur la carte, les villes se concentrent dans la bande côtière, l'arrière-pays étant de manière générale une zone rurale. Alors que les principales villes possèdent des infrastructures comparables aux nôtres, les régions de la montagne et de la forêt, peuplées de villages aux cultures précolombiennes, sont assez difficiles d'accès, ce qui n'est pas sans influer sur l'éducation et sa qualité.
2. Tableau comparatif Pérou/France
IIIIIIIII
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IIIIIIIII
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TERRITOIRE
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1 285 216
km²
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547 026 km ²
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POPULATION
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30,8
millions d’hab.
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67 millions d’hab.
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DENSITE
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24 hab./km²
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98,8 hab/km²
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LANGUES NATIONALES
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Espagnol (83,9%)
Langues
co-officielles :
- quechua
(13%)
- aimara
(1,8%)
- autres
langues aborigènes (environ 50)
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Français
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NATURE DE L’ETAT
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République
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République
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PIB PAR HABITANT
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10.700 $
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40.400 $
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DEPENSE EN EDUCATION (EN % DU PIB)
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3,3
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5,5
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Comme nous pouvons le voir dans ce tableau, pour une superficie plus de deux fois supérieure à celle de la France, le Pérou compte moitié moins d'habitants.
Plusieurs langues co-habitent au Pérou: l'espagnol d'abord, langue première de 83,9% de la population, puis le quechua, l'aimara et une cinquantaine d'autres langues aborigènes, co-officielles de l'espagnol.
Le Pérou est une République Démocratique. Mais depuis quand? Faisons un (tout) petit point sur l'histoire du Pérou.
De la Renaissance au XIXème siècle, le Pérou est sous le joug des colons espagnols. Suite à une révolte contre la domination espagnole semée par le général José de San Martin dans toute l'Amérique Latine, le Pérou se déclare comme une République indépendante en 1821. Les siècles qui suivront se caractériseront par une grande instabilité politique, qui mènera à une dictature militaire après le coup d'état de 1968. Dans les années 80, la révolte se développe et des groupuscules de communistes activistes venus de la Sierra mènent des actes terroristes dans tout le pays (à l'image du fameux Sendero Luminoso). Les choses se calment dans les années 2000, la stabilité politique s'installe et le développement du pays peut enfin commencer.
3. Organisation de la scolarité
Rentrons dans le vif du sujet! Depuis la Constitution de 1993, la scolarisation est obligatoire pour les enfants de 5 à 17 ans.
La scolarité péruvienne s'organise en 3 blocs:
- initiale
- basique (primaire et secondaire)
- supérieure
4. Les modalités de scolarisation
Plusieurs modalités sont proposées, notamment pour l'éducation basique:
- l'éducation basique normale (pour tout public)
- l'éducation alternative (réservée à un public en échec scolaire)
- l'éducation spéciale (réservée à un public à besoins éducatifs particuliers)
- l'éducation à distance
A tous niveaux, deux réseaux d'écoles se disputent les élèves et étudiants: la sphère privée et la sphère publique.
Dans le cas des écoles, 24% des enfants sont scolarisés dans le
réseau privé contre 17% en France. Il y a 3 fois plus d’écoles
privées que
d’écoles publiques au Pérou.
Dans le cas des universités, la majorité d’entre elles sont privées (56/92 au total). Les universités
publiques, gratuites, sont donc réservées seulement aux excellents élèves.
5. L'organisation de l'Éducation Nationale Péruvienne
6. Les rythmes scolaires
Le Pérou étant situé dans l'hémisphère Sud, l'été s'étend sur les mois de décembre, janvier et février. Ce sont leurs grandes vacances. L'année scolaire commence en mars et se termine en décembre. La classe commence généralement vers 7h30 le matin pour se terminer vers 14h30, du lundi au vendredi.
7. Comment devenir professeur au Pérou?
Les professeurs de l'Éducation Nationale son recrutés par concours, au niveau Bac+5 (niveau Bachiller, équivalent du Master français).
Le salaire mensuel d'un enseignant dans le public est de 1200 à 1500 soles (soit environ 450€). On peut noter qu'une prime est prévue pour les professeurs enseignant dans les zones les plus reculées du pays. Cette mesure cherche à palier les inégalités dans la qualité de l'éducation selon la situation géographique de l'école (zone rurale/zone urbaine). Nous en reparlerons plus loin.
Actuellement, seulement 85% des enseignants en poste possèdent un titre en pédagogie, ce qui tend à expliquer la faible qualité du système.
8. Qu'enseigne-t-on à l'école ?
Depuis les années 2000, l'éducation est une priorité dans les politiques de développement du pays. Ainsi, un Curriculum
national pour l’éducation basique est sorti en 2014, présentant 8 compétences que l'enfant devra atteindre à la fin de l'éducation obligatoire.
1) Agir et interagir de manière autonome pour le bien être (autonomie, rapport à
la sexualité : liberté, responsabilité et bien être, comportement "méta" dans l’apprentissage : autoévaluation, respect et bonne relation avec les
autres, esprit critique)
2) Entreprendre des projets pour atteindre les objectifs recherchés
3) Exercer pleinement sa citoyenneté (droits et devoirs, défense de la démocratie,
conscience du bien commun, de l’histoire du pays et de la région, et de
l’écologie).
4) Communiquer pour le développement personnel et la vie en communauté (langues,
tant l’espagnol que les langues traditionnelles, oral-écrit, ou
étrangères ; le langage digital).
5) Utiliser les mathématiques dans et pour la vie quotidienne, le travail, la
science et la technologie (résolution de problème).
6) Utiliser la science et la technologie pour améliorer la qualité de la vie
7) S’exprimer à travers l’art et apprécier l’art dans ses diverses manifestations
(créativité, sensibilité)
8) Valoriser et utiliser les possibilités expressives de son corps en mouvement
avec autonomie, développant un style de vie actif et sain, à travers le jeu, la
récréation, l’activité physique et sportive en relation avec les autres
(respect de soi et des autres).
Nous pouvons noter beaucoup de similitudes aux objectif du Socle Commun de Connaissances et de Compétences français (recherche de l'autonomie, apprendre à apprendre, valeurs de partage et de respect de soi, de l'autre, de l'environnement...). Cependant, quelques points ont attiré mon attention, notamment la référence à l'éducation sexuelle, totalement absente des prérogatives ministérielles françaises. Je pense pouvoir expliquer ce point de différentes manières. La société péruvienne est une société globalement traditionnelle où homophobie et sexisme ne sont malheureusement pas que des phénomènes isolés. Ainsi, je pense qu'à travers la défense de la "liberté sexuelle", il s'agit de conscientiser les enfants que la sexualité est un choix qui n'appartient qu'à soi et qu'on ne peut juger autrui pour son orientation. Je crois également voir derrière le terme de "liberté sexuelle" l'importance de conscientiser les enfants, et plus particulièrement les jeunes filles, de la liberté du corps et de l'importance du consentement, du droit de dire non. Enfin, derrière le terme de "responsabilité", je pense que l'on peut voir en filigrane une allusion à la contraception.
En plus de ces enseignements, que nous retrouverons dans toutes les disciplines, la particularité du système péruvien est de proposer un enseignement religieux, de confession chrétienne catholique. Ces cours ne sont pas obligatoires, mais sont dispensés dans toutes les écoles.
Afin de viser à la qualité de la mise en place de ces nouveautés dans la politique éducative du pays, le Ministère de l'Education propose des outils pour assoir ces nouvelles orientations, aider les enseignants à les mettre en place, et ensuite les évaluer (Mapas de progreso -à l’intérieur du cycle, aide à l’évaluation- et Rutas
del aprendizaje -avec matériel didactique, conseils).
Les efforts sont nombreux, et comme on peut le constater à travers la lecture du Plan nacional deeducacion para todos 2005-2015 la politique éducative progressiste et dynamique de Pérou commence à porter ses fruits. Mais la route est longue quand on part de loin...
9. Les faiblesses du système péruvien
En 2012, le Pérou était dernier du classement PISA. Selon moi, comme nous l'avons abordé plusieurs fois à demi-mots, l'un des problèmes majeurs reste l'inégalité des chances entre les zones rurales et urbaines.
Pour illustrer mon propos, voici deux images que je souhaiterais mettre en regard. Ces deux photos ont été prises durant la cérémonie quotidienne du lever du drapeau. Chaque matin, les petits péruviens se retrouvent dans la cour de l'école, se mettent en rang et chantent l'hymne national pendant que le drapeau est levé.
La première photo est prise dans le centre ville de Lima, la deuxième dans un petit village de la Sierra. On saisit bien ici la diversité de cas avec lesquels l'éducation péruvienne a à jongler.
Tant au niveau des infrastructures, des professeurs que des moyens financiers, l'inégalité de la qualité de l'éducation est un fait indéniable, première priorité pour une éducation égalitaire.
Quelques chiffres...
38% de
la population urbaine entreprend des études supérieures, contre 6% en milieu
rural.
40% des
enfants des milieux urbains terminent l’enseignement obligatoire du secondaire,
contre 29% des personnes vivant à la campagne.
En guise de conclusion
Pour avoir côtoyé de très près la réalité du terrain (voir à ce sujet mon blog personnel de voyage), je souhaiterais vous faire part de mon opinion personnelle.
Selon moi, la vie dans les écoles est très différente de celle que les textes préconisent. On
valorise encore une école ultra-traditionnelle, où l’enfant n’est pas acteur de son savoir, mais
seulement exécuteur
de tâches: on ne l'invite pas à la
réflexion, on valorise un apprentissage par cœur basé sur la mémoire, les enfants sont abasourdis par des devoirs à la maison écrasants, l’erreur n’a pas un statut positif mais plutôt répressif et l’élève
n’est que trop rarement mis en situation de recherche.
Cela dit, j'espère que ceci s'explique par la jeunesse de la dynamique des politiques éducatives péruviennes. Petit à petit, le Pérou avance, sur le chemin d'une école plus juste et plus efficace.
¡ Arriba
Perú !
Bonjour,
RépondreSupprimerje trouve ton blog super intéressant c'est exactement ce que je cherchais pour mon dossier à faire sur le pérou. Par contre je ne trouve pas ta bibliographie serais ce possible de la trouver qq part?
Merci d'avance Laetitia
Bonjour Laetitia,
RépondreSupprimerMerci de ton intérêt pour mon article. Voici les sources utilisées pour écrire cet article:
- Metas educativas e indicadores al 2021 – Dossier paru après la reunión des Ministres de l’Education dans le cadre de l’Organisation des Etats Ibero-américains au Salvador en 2008 – sous la direction du Ministère de l’Education et Conseil National de l’Education - Lima, 2010.
- Plan nacional de educacion para todos 2005-2015, Peru: http://www.oei.es/quipu/peru/Plan_Nacional_EPT.pdf
- http://www.minedu.gob.pe
-http://
www.minedu.gob.pe/minedu/archivos/MarcoCurricular.pdf : plan curricular
- Socle commun de compétence du professeur: http://www.perueduca.pe/documents/60563/ce664fb7-a1dd-450d-a43d-bd8cd65b4736
En espérant que cela répond à tes attentes!
Bonjour Abdy,
RépondreSupprimerMerci bcp pour cette belle bibliographie. Comme tu imagines à l'université, impossible de faire un dossier sans citer ses sources. Ton exposé est vraiment bien fait et donne une idée de l'éducation au Pérou. On sent que le sujet te tient à coeur tu t'y es rendu?
Oui en effet le sujet me tient à coeur. J'ai vécu 6 mois au Pérou en 2014 et je suis en ce moment même de retour dans ce pays que j'affectionne particulièrement afin de mettre en place un projet social ayant pour but d'accompagner les jeunes d'un village de banlieue d'Arequipa dans leurs projets d'études supérieures! Si cela t'intéresse, tu peux suivre les avancées du projet sur ce blog dans les nouveaux articles. Je suis aussi en train de créer un site internet et un groupe Facebook public pour donner de la visibilité à K'iranakuy (le nom de notre projet, provenant du terme Quechua signifiant "s'aider les uns les autres"). Ils seront bientôt en ligne !
RépondreSupprimersuper et bravo!!! Je vais suivre ça de près, quelle belle initiative!
RépondreSupprimerBonjour,
RépondreSupprimerVotre article il ete pas mal mais je suis pas en accord avec votre conclusion, qui releve de une pense europeene. Mais c'est bien d'avoir faire cette travail, mais mieux de pas dire "je pense que..." Seul un peruvien peu comprendre comment cela est. Ce n'est pas un critique, pour vous, mais juste un conseil. Saludos cortiales desde Lima Perú
Bonjour Don Bernardo,
RépondreSupprimerJe vous remercie pour votre commentaire. C'est vrai, je fais seulement part de mon opinion personnelle, en espérant que les choses aient changées dans les écoles péruviennes depuis la rédaction de cet article !
Saludos,
Adèle
Bonjour Abdy, je ne suis pas du tout d'accord avec Don Bernardo, je pense que les personnes qui vivent au Pérou même "étrangères" sont capables de réflexionner sur les problèmes qui touchent ce pays car elles y sont confrontées chaque jour, et dans les petites villes de province il y en a beaucoup.. des problèmes. J'aimerai m'entretenir avec vous pour une interview via Skype ou par écrit. Je suis française, mariée à un péruvien et vivant au Pérou depuis 3 ans, j'enseigne le français et l'anglais et j'ai un fils scolarisé de 7 ans, donc je peux vous confirmer qu'en 2018 votre article est malheureusement toujours d'actualité! Nous voulons faire un programme de radio sur l'éducation et je pense que vous pourriez nous apporter beaucoup de choses! Voici mon email alicefremont@gmail.com, merci!
RépondreSupprimerMerci beaucoup
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