Au début du
mois de décembre, l’université catholique San Pablo que j’avais contactée est
venue faire une présentation des parcours proposés au sein de leur structure,
dans les deux collèges. La charla fut très inégale malheureusement pour les
élèves de Corazon de Jesus qui ont écopé d’un petit mec pédant en costard
insistant sur les prix des cursus trop élevés pour eux … Plus démotivant,
difficile… Heureusement, l’équipe était différente pour le collège de Mollebaya
et une petite dame est venue nous faire un atelier participatif visant à
motiver les élèves à étudier, à la San Pablo ou ailleurs. Chouette moment.
La semaine suivante, c’était l’Université Publique San Agustin qui était invitée. Est arrivé un vieux monsieur à moustache, au discours sympa et motivant. Les jeunes ont bien rigolé et se souviendront je pense pendant un moment de ce petit moustachu !
Documentation et annales de l'an dernier: de quoi s'occuper pendant les vacances! |
Parallèlement aux visites, j’ai inscrit les volontaires aux cours de renforcement à l’académie Mendel, pour un mois. Ainsi, 9 jeunes de Socabaya ont pu accéder à ces classes, comblant la faiblesse académique de leur école de quartier. Super ! J’espère que ça sera efficace !
Pour la dernière semaine, le programme était chargé : visite de l’institut d’études techniques ISUR le vendredi et rencontre avec foire aux métiers le samedi. Après m’être assuré de la bonne communication de la visite le vendredi après-midi, après avoir rendu l’assistance obligatoire pour m’assurer la venue des élèves après l’école, après avoir fait signer des mots aux parents avec tampon du directeur, après leur avoir demandé si honnêtement ils allaient venir et qu’ils m’aient répondu que oui bien sûr, j’ai loué un bus pour emmener les 30 jeunes attendus visiter l’Institut dans le centre-ville. 15h, comme prévu, je me trouve devant le collège de Mollebaya. Se pointent… 3 jeunes. « Mais où sont les autres ? » demandai-je, désappointée. « Ils ont dit qu’ils ne viendront pas ». Premier coup au moral. Bon, on va aller à San Isidro, deux filles m’ont dit qu’elles voulaient venir. On se gare dans la rue principale, et je les appelle. « Ah mince, il y a une fête dans le collège pour l’inauguration du terrain de basket donc on ne peut pas venir ». Dernier espoir, dernier lieu de récupération des jeunes : le collège de Socabaya. J’arrive, ils sont tous là, avec un professeur resté avec eux pour l’occasion. Ah, bonne nouvelle ! Je les récupère, et sans avoir le temps de dire ouf ! les voilà qui s’échappent à droite à gauche. « Je vais me changer miss ! » « Finalement, je dois rentrer ma mère m’a dit »… Je reste bouche bée sur le trottoir, au bord des larmes. Deux élèves restent avec moi et s’énervent contre leurs camarades « Non mais ça ne se fait pas !!! Ils abusent là, je vais le dire à la prof principale, ils sont nuls ». Ouais, mais résultat, on est 5 au lieu de 30… 120 Soles, c’est le prix de la location du bus pour une après-midi. Si j’avais su qu’ils ne seraient que 5, nous aurions aussi bien fait d’y aller en bus de ville, pour la modique somme de 4 soles et 20 centavos…. Mais voilà, j’y ai cru jusqu’au bout, qu’ils allaient tenir parole. Dans le bus, je m’assieds à côté de la conductrice, qui semble s’en vouloir, comme si elle était responsable de leur irresponsabilité. « Ils ne savent pas l’opportunité qu’ils perdent… Non mais vraiment, c’est pas tous les jours qu’on leur propose une activité comme ça, et gratuite en plus. Ils ne se rendent pas compte. » Je ne sais pas, je ne sais plus, et j’ai les larmes qui montent aux yeux. Derrière, les jeunes sont silencieux. J’en entends un qui dit à sa voisine « La miss, elle a l’air énervé… ». Amanda se penche vers moi et me demande « Tu es énervée, miss ? ». « Je suis très déçue. », je lui réponds.
La visite a duré une heure environ. C’était assez intéressant, mais j’avais l’esprit ailleurs. En rentrant à la maison le soir, j’ai pleuré. Je me sentais tout à coup inutile, à côté de la plaque. Comme si tout ce que j’avais fait, tout ce que j’avais imaginé et tout ce que j’avais mis en place n’avait servi à rien. Comme si je m’étais évertuée à forcer des actions que personne n’avait demandé, dont personne n’avait besoin. De l’énergie, du temps, de l’argent d’autrui : gâchés. Des coups de poing dans un édredon.
Etait-ce le projet qui ne les intéressait pas ? Etait-ce les ateliers et activités proposées qui ne leur correspondaient pas ? Etait-ce le fait que ces enfants dans des corps d’adultes m’avaient fourvoyée, croyant pouvoir compter sur leur responsabilité et leur maturité ? Etait-ce la culture péruvienne qui est comme ça, à laquelle je n’aurais pas su adapter mon organisation ? Ces questions tournoyant dans ma tête, j’ai parlé à mes amis péruviens. La conclusion, c’est que c’est un peu de tout cela.
Il est très difficile de percer et de comprendre une culture au point de proposer des activités qui tapent dans le mile et qui prennent. Je croyais pouvoir m’y faire, mais je me suis rendu compte que c’était pour moi très difficile de faire face à ces déceptions. Je crois que le plus difficile a en fait été de me rendre compte que je n’étais pas légitime à faire ce que je faisais. Alors bien sûr, comme dit Rachel, ce serait mieux que ce soit un Péruvien qui aille à la rencontre de ces jeunes pour les motiver et les aider dans leurs projets, mais en attendant, mieux vaut une gringa que personne ! J’entends bien, mais je crois que ce n’est pas mon rôle à moi. J'ai réalisé que ce combat n’était pas le mien. Ce fut une expérience très intéressante, enrichissante, et je crois en la durabilité de ce projet quand il sera géré et habité par des locaux. De l’entre-aide et du soutien, un cercle positif généré et alimenté par des Péruviens, c’est la clé. Je pense que le malaise constant que je ressentais sur place était du à cette illégitimité sur laquelle je n’ai pu mettre des mots qu’à la fin de mon séjour.
Je suis allée me coucher le cœur gros ce vendredi soir-là, afin d’être en forme pour la dernière activité proposée le lendemain : la foire aux métiers. Durant les semaines précédentes, j’avais dressé une liste des métiers qui intéressaient les jeunes. Faisant jouer mes contacts, j’ai essayé de mobiliser des professionnels de ces différents métiers et de les faire venir à San Isidro, ce samedi matin-là. Sont venus deux amis avocats, une amie cuisinière, un architecte (mon élève de France Connexion !), un ingénieur et un gérant d’un restaurant-snack. Et du côté des jeunes ? 1. Une seule et unique élève. Au début un peu timide, elle se tenait à l’écart, jetant un œil à la documentation que j’avais laissée en libre service. Puis je me suis approchée d’elle pour l’inviter à se joindre à la table des professionnels. Un peu imposant, quand on est toute seule ! Elle m’avait dit qu’elle voulait étudier l’Administration. Mince, aucun professionnel de l’administration invité n’avait pu venir… Elle s’est installée en face de Maria, mon amie cuisinière, vivant à San Isidro. « Euh, en fait… c’est quoi tes études ? ». Maria a commencé à décrire et à raconter son parcours de ces trois dernières années. Petit à petit, je sentais la glace fondre et Yajaira être de plus en plus attentive. Maria lui a finalement demandé si cette voie l’intéressait. La jeune répondit timidement : « Oui en fait, j’ai dit à Adèle que je voulais étudier l’administration mais ça c’est plutôt ce que mes parents veulent que j’étudie. Moi j’ai un rêve, c’est d’être cuisinière ». BANCO ! Deux heures plus tard, nous étions encore tous les 4 à discuter, motivant Yajaira à suivre sa passion et à tenir tête à ses parents. Elle est partie, le sourire aux lèvres. Ensuite, 3 jeunes garçons inconnus au bataillon passaient par là, nous les avons invités à entrer et avons discuté avec eux. Bon, à midi nous avons tout rangé, et c’était terminé.
L'annonce placardée dans le village |
La foire aux métiers! |
La semaine
suivante, je me suis rendue dans les collèges pour un dernier
atelier-conversation-évaluation du projet K’iranakuy avec les jeunes. Arrivés à
Mollebaya, Yajaira se précipite vers moi et me dit : « Miss, quand je
suis rentrée chez moi samedi, j’ai dit à mes parents « J’ai quelque chose
à vous dire, et il ne faudra pas vous énerver. Je veux être cuisinière, un
point c’est tout ». Et ils m’ont dit « Eh bien si tu es si motivée ma
fille, tu y arriveras ! ». » Elle rayonnait de joie ! Et
moi aussi !!! Quelle victoire inattendue !
Alors voilà.
J’en reste là, avec mes doutes, mes illusions et mes espoirs. Le vendredi avant
de partir, mon amie Maria (la cuisinière) avait son examen de fin d’études,
sous la forme d’un dîner gastronomique. Elle voulait que je sois son invitée.
J’ai été honorée, et je m’y suis rendue avec une grande joie. A la fin,
lorsqu’elle a reçu sa toque signant la fin de ses études et le début de sa vie
professionnelle, loin des fabriques de briques et de la vente à la sauvette,
elle a fondu en larmes dans mes bras. Moi aussi j’avais les joues humides.
« Tu es un exemple, Maria, pour toute la communauté de San Isidro. Bravo.
On est tous fiers de toi », je lui ai glissé à l’oreille. Eh oui, un
exemple de motivation, de persévérance et de volonté de s’en sortir différemment,
de se donner le luxe d’avoir le choix.
L’éducation est
l’arme la plus puissante du monde, j’en suis toujours convaincue. Même si la
victoire n’est pas complète, j’aime à croire que des petites graines ont été
semées par-ci par-là, que les idées vont certainement germer dans ces jeunes
têtes aux cheveux d’ébène. En tous cas, cette expérience ne sera pas vaine, et
permettra au projet d’apprendre et de grandir, de s’organiser différemment tout
en gardant le même objectif : permettre à tous ces jeunes d’avoir le choix.
Pour l’instant, K’iranakuy est mis entre parenthèse jusqu’à ce que Rachel
termine ses études, durant l’été 2018. Pour ma part, mon action sur le terrain
est arrivée à son terme, mais je ne cesserai pas de prendre part au projet, seulement,
d’un peu plus loin. J’ai réalisé que si je veux faire bouger les choses, c’est
dans une salle de classe que je trouve véritablement ma place, au contact
d’enfants, au jour le jour. K’iranakuy, une jolie découverte qui ne fait que
m’assurer que je suis sur le bon chemin.
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