Il nous toisait
depuis trop longtemps, du haut de ses 5800 mètres. Gris-cendre, majestueux et
masculin. Le premier à saluer la ville à l’aube. Et sa silhouette comme une
pyramide d’ombre qui se devine dans la nuit. Symbole d’Arequipa, le Misti est
mystique et mythique. Une ascension de plus de 12 heures, une nuit sous la
tente à plus de 4000 mètres, une aventure d’à peine deux jours qui marque pour
toujours les téméraires qui tente leur chance. La chance d’avoir la force
physique et mentale d’arriver jusqu’à sa cime.
Nous sommes partis la fleur au fusil un dimanche matin. Accompagné de Rus notre guide et de trois autres jeunes marcheurs, nous avons pris une camionnette qui nous a amenés au pied dudit volcan. 11h, c’est parti pour l’ascension. Sur le dos : une tente, un sac de couchage grand froid, 6 litres d’eau et des couches et des couches en préparation de l’oignon-style pour combattre le froid des hauteurs. Le groupe est bien sympa, on apprend à se connaître tout en se dirigeant vers la zone de campement où nous passons la nuit. La nuit ? Oui, façon de parler. Nous arrivons au campement à 16h et installons les tentes pendant que Rus prépare le dîner. 18h : magnifique coucher du soleil en tentant de se réchauffer avec la super sopa de verduras de notre guide-cuisto. 19h, tout le monde au lit. Pour nous, le temps de se faire une petite bataille corse dans la tente et de se rendre compte que le sac de couchage d’Alex n’a plus de fermeture éclair, de trouver une solution pour ne pas qu’il finisse en mode Mister Freeze et nous voilà couchés. Il fait friscounet quand même ! Mais surtout, c’est l’altitude qui nous empêche de dormir sur nos deux oreilles. Parce qu’entre nos deux oreilles retentit un puissant mal de tête. Vivement qu’on se lève et qu’on commence le vrai challenge ! Ca tombe bien, il est minuit, c’est l’heure de se lever. Rus nous prépare un thé, nous avalons un morceau de pain et c’est parti, lampes frontales allumées et mode oignon aux mille couches activé. L’ascension commence alors que nous nous réveillons tout doucement, les pieds marchant tout seuls. Heureusement que la lune est pleine, parce que ma lampe frontale s’essouffle à quelques mètres du campement ! Nous avons un bon rythme, mais ce n’est pas le cas de tous les membres de notre petit groupe... Le Brésilien et l’autre Française ont du mal à avancer après seulement quelques heures de marche. Les pauses se font plus fréquentes et plus longues, mais à plus de 4000 mètres d’altitude et en pleine nuit, le froid nous tétanise rapidement. Nous décidons alors de nous séparer, Martin l’Allemand, Alex et moi continuant l’ascension alors que les deux autres redescendent au campement. Le guide leur indique le chemin et nous rattrape un peu plus haut dans la montée. Il est 5h, j’ai mal à la tête et je suis fatiguée. Nous passons la barrière des 5000 mètres, et Martin commence à se sentir mal. A chaque pause, il vomit. « El soroche, el mal de altitud, le esta chocando ». Le soleil se lève derrière le Pichu-Pichu qui se découpe dans l’aurore. La température remonte un peu. On a beau mastiquer de la coca, l’effort physique est intense. Le guide nous annonce qu’il reste 2h30 de montée. La nouvelle me dépite. A chaque pause le même scénario se répète : je m’assieds sur un rocher, je m’endors en une seconde, et Martin vomit. Au loin, j’entends la voix d’Alex : « On devrait y aller avant qu’Adèle ne s’endorme ». Oups, trop tard ! A de telles altitudes, le corps se met en veille pour se préserver. C’est pour ça que je m’endors en clignant des yeux ! On la voit, cette cime. Depuis hier, on la voit. Elle a l’air si proche ! Mais au fur et à mesure que l’énergie nous quitte, la cime, elle, semble s’éloigner. Je ne sais plus si j’ai envie de dormir, de pleurer ou de crier. « Vamos Adèle, eres fuerte ! » me dit Rus pour me motiver. Il ne reste plus que ¾ d’heure. Il me place derrière lui, et je mets mes pas dans les siens sans ne plus penser à rien. Mon corps est tout éteint sauf mes pieds qui continuent d’avancer et de me porter.
7h30 : sous mon pied, du plat. Cette sensation oubliée me fait lever la tête. Nous y sommes. Au creux du cratère. Autour de moi l’intérieur d’un volcan, comme un cirque, aux falaises colorées de jaune, d’ocre, de gris et de blanc. Je regarde, je tombe sur le sol, et je pleure. De fatigue, d’émerveillement, de surprise, de délire, je ne sais pas. Mais nous voilà en haut ! La cime est marquée par une croix, à quelques centaines de mètres en haut du cratère. J’annonce directement que je ne pourrai pas arriver jusqu’en haut. Etre arrivée là me convient parfaitement. Alex hésite, puis se résigne. Nous allons voir l’intérieur du cratère, où des fumées de soufre nous accueillent. Petite séance photo durant laquelle nous nous sommes rendu compte que sourire demandait un réel effort physique ! Et puis il est temps d’attaquer la redescente. 7 heures de montée se résument à… 40 minutes de glisse dans les cendres. Comme dans de la neige, nous dévalons la pente à toute allure. Nous passons par le campement, plions bagage et redescendons jusqu’au point de départ. 12h30, nous sommes dans la camionnette, le Misti est derrière nous, maintenant démystifié.
Il n’a pas
l’air bien méchant vu d’ici !
|
Fins
prêts !
|
Et c’est parti
|
Le mulet est
chargé !
|
Dernier arbre
dans ce paysage désertique
|
Entre roche
volcanique et sable gris foncé, témoins de la nature de la montagne que l’on
gravit.
|
Le
campement !
|
Fatigué?! |
Bienvenus dans
notre « palais » pour la nuit !
|
Préparation de
la soupe, dans les nuages !
|
Alors que le
Pichu Pichu se prend pour une île dans une mer de nuages
|
<3
|
Et le ciel qui
se transforme à toute allure
|
Un petit lutin
dans le crépuscule
|
Tentacules de lumière - Arequipa dans la nuit |
Ouhhh, dur dur
le petit déj’ et le flash dans la tronche à minuit !
|
A l’assaut du
soleil qui pointe son nez derrière la montagne et bleuit le ciel
|
Inti se lève
|
Et dans l’aurore on découvre les veines du volcans qui conduisent notre regard jusqu’à la plaine |
L’énergie
commence à manquer… on dirait une petite mémé de 90 ans en manque de
déambulateur !
|
La cime semble
toute proche, mais il reste encore une bonne demi-heure de marche
|
Et tout en
haut. Les larmes devant ses couleurs et ses formes inattendues
|
Le cirque du
cratère du Misti
|
Contents d’être
arrivés !
|
Repos bien
mérité
|
Et au cœur du
cratère, le soufre s’agite et remue une fumée blanche
|
Comme on se
sent vraiment
|
Comme on fait
pour la photo
|
Allez un
dernier effort, pour la photo
|
Mais en vrai
c’est plutôt ça !
|
Descente !
|
A l’arrivée à la maison, nous montons sur la terrasse. En rangeant nos affaires, nous l’apercevons, au loin. A ce moment-là, il nous est encore trop difficile d’associer l’expérience vécue durant les 48 dernières heures au cône gris que l’on voit, assis sur notre salon de jardin. 14h : après une bonne douche, on se couche et terminé bonsoir !
Ce n’est que le
lendemain, en me promenant dans la ville (avec mes courbatures) que j’ai
vraiment ressenti d’avoir accompli une grande chose. Un challenge accepté et
réussi. Une mission accomplie. Je n’ai pas marché sur la Lune, mais j’ai
repoussé mes limites. Le corps endolori, mais l’esprit endurci (et les cuisses
aussi par la même occasion). On nous avait bien dit que l’ascension du Misti
était un combat avec soi et contre soi. Maintenant, je l’ai bien compris.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire